Un article de Philippe-Alexandre Chartier

Alors que la poussière électorale retombe tranquillement aux États-Unis, ce sera bientôt le temps des élections dans toutes les villes et municipalités du Québec. Une question d’importance, souvent peu discutée, a retenu l’attention médiatique au cours des dernières années en marge de l’affaire concernant l’éligibilité de Marc Demers à titre de maire de la Ville de Laval. Cet article analyse le critère de résidence comme critère d’éligibilité aux élections municipales, le tout à la lumière de la décision de la Cour d’appel dans l’Affaire Foucher c. Demers (2015 QCCA 926).

Le principe

L’article 61 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (la « LERM ») établit que pour être éligible à occuper un poste dans le conseil d’une municipalité, une personne doit notamment avoir:

« résid[é] de façon continue ou non sur le territoire de la municipalité depuis au moins les 12 derniers mois le 1er septembre de l’année civile où doit avoir lieu une élection générale ».

En d’autres mots, le candidat doit, le 1er septembre avant les élections municipales, résider depuis au moins un an dans la municipalité dans laquelle il souhaite se présenter.

Il est à noter qu’une personne peut résider dans plusieurs municipalités, par exemple s’il possède un chalet saisonnier occupé de manière sporadique en plus d’une demeure principale. Le critère de résidence a été retenu lors de la rédaction de la loi afin de s’assurer que l’élu soit minimalement au fait et concerné par les affaires de sa municipalité. Il aurait été très difficile d’appliquer un critère requérant une connaissance des affaires de la municipalité.

Le cas de Marc Demers

Une fois le résultat des élections municipales de 2013 connu, un opposant défait a intenté un recours afin de faire déclarer Marc Demers, le vainqueur aux suffrages, inhabile et inéligible à occuper la fonction de maire de la ville de Laval. Le motif soulevé est que le critère de résidence n’aurait pas été rempli.

À ce sujet, rappelons que le président d’élection ne peut pas juger de l’éligibilité d’un candidat potentiel et doit accepter toute candidature complète qui lui est soumise. De ce fait, ce sera très souvent les opposants politiques déçus qui, une fois le processus électoral complété, remettront en cause le droit de leur opposant d’occuper la fonction pour laquelle il aura été élu.

Dans le cas qui nous intéresse, Marc Demers a habité et travaillé pendant plusieurs années dans la Ville de Laval, mais a déménagé en dehors du territoire de la Ville en juin 2012 lorsqu’il a vendu sa demeure, pour ensuite y revenir au début de l’année 2013. C’est donc dire que, pour la période de référence pour l’élection de 2013, soit du 1er septembre 2012 au 1er septembre 2013, monsieur Demers n’était pas propriétaire d’un immeuble sur le territoire de Laval pour un peu moins que la première moitié de la période. La question à trancher était donc de savoir si monsieur Demers pouvait être considéré comme ayant eu une résidence, continue ou non, sur le territoire de la Ville de Laval au sens de l’article 61 de la LERM.

Dans sa décision, la Cour supérieure a jugé que Marc Demers remplissait amplement le critère applicable. Pour ce faire, la Cour a considéré la longue période où M. Demers a résidé sur le territoire antérieurement à la période de référence. Il était donc éligible puisqu’il a résidé pendant beaucoup plus de 12 mois sur le territoire de la Ville au courant de sa vie. Bien que cette conclusion a le bénéfice de se conformer à l’esprit de la loi, soit d’assurer que les élus soient minimalement intéressés par les affaires de la municipalité où ils siègent, il est toutefois plutôt difficile d’arrimer cette décision avec le critère énoncé dans la LERM.

La décision a d’ailleurs été portée en appel, mais a été maintenue. Il nous semble toutefois que cette décision sera difficile à invoquer dans une autre affaire puisque la Cour indique ne pas adhérer à l’interprétation de l’article 61 LERM faite dans le premier jugement, mais juge qu’il n’y a pas de motif justifiant son intervention, la décision concernant l’éligibilité n’étant pas déraisonnable compte tenu des faits propre à l’affaire. Une telle conclusion peut paraître surprenante aux yeux de certains juristes dans la mesure où la question était relative à une interprétation législative plutôt que factuelle. Peut-être que le fait que cette décision ait été rendue alors que près de la moitié du mandat du maire avait été écoulé peut avoir été considéré dans l’analyse de la situation.

Et si Marc Demers avait été jugé inéligible?

Les conséquences d’un tel jugement auraient été à la fois importantes et minimes. En effet, si un élu est jugé inhabile à occuper sa fonction, le poste devient vacant et une nouvelle élection est tenue.

Toutefois, contrairement à ce qui a parfois été avancé dans les médias (par exemple : dans cet article de La Presse), Marc Demers aurait pu se présenter aux nouvelles élections à condition cette fois de remplir le critère de résidence, ce qui aurait vraisemblablement été le cas compte tenu des délais judiciaires. En effet, la période de référence pour déterminer l’éligibilité de monsieur Demers aurait été établie en fonction de la date de la nouvelle élection. L’élection partielle aurait donc pu être remportée par Marc Demers, ce qui aurait pu sembler absurde, surtout à la lumière des coûts engendrés par la tenue d’une élection.

Finalement, soulignons que les actes posés par un élu jugé ultérieurement inhabile ou inéligible à occuper son poste ne sont pas invalidés pour autant et une telle décision n’aurait donc pas eu d’effet rétroactif sur les affaires de la Ville de Laval.

Et maintenant?

En marge de ce jugement, qu’est-ce qu’une personne souhaitant être candidat aux prochaines élections municipales doit retenir? Les tribunaux semblent maintenant enclins à considérer une acception large du concept de résidence en droit municipal, comme ce fut le cas par ailleurs dans la décision Québec (Procureure générale) c. Béliveau, 2014 QCCS 4830. Cependant, il estloin d’être certain qu’un tribunal conclurait à nouveau que le critère de résidence ait été rempli alors que le candidat n’avait pas de résidence physique à proprement parler au cours d’une partie de la période de référence, la Cour d’appel n’ayant pas adhéré à cette interprétation de la LERM.

De ce fait, la prudence demeure de mise. Puisque la période de référence pour la prochaine élection a débuté en septembre 2016, il serait trop tard pour qu’une personne ne résidant pas sur le territoire d’une municipalité puisse remédier à la situation en changeant de lieu de résidence. Une personne inhabile se présentant aux élections peut même encourir une peine pécuniaire pouvant aller jusqu’à 2000$. La question de résidence, et de manière plus générale, d’admissibilité aux élections municipales, comporte certaines nuances juridiques et toute personne souhaitant poser sa candidature devrait consulter un conseiller-juridique afin d’être bien conseillé.

Un article de Philippe-Alexandre Chartier